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MARIE-CLAIRE CALOZ-TSCHOPP
Résister en politique,
résister en philosophie
Avec Arendt, Castoriadis et Ivekovic

«Pour moi, être heureuse, c'est ne pas subir. La liberté sans la rigueur n'est pas intéressante.»
Marta Argerich, Le Courrier, 8 juin 2006.


Résister, c'est s'arracher à la servitude pour découvrir la liberté. Résister, c'est garder vivante la découverte d'apories de la modernité, l'expérience totalitaire dans les conflits de mémoire collective et aux frontières de la démocratie. Résister, c'est se situer dans une période (post)coloniale, (post)communiste, (post-)totalitaire, époque où la planète est finie, c'est-à-dire où il n'y a plus d'extérieur où exporter la guerre impérialiste, où piller les ressources, où jeter les déchets, où expulser ou procéder à des meurtres de masse. Résister, ce n'est pas vouloir prendre le pouvoir guerrier pour répéter le cycle de la domination dans un contexte de destruction et d'extermination directe ou déléguée (politiques du sida, externalisation des conflits, etc.). Ni faire la guerre. Ni céder à l'illusion de la force instrumentale présente dans les dispositifs, les outils, les armes. Résister, ce n'est pas non plus réinventer une utopie messianique. C'est une position à tenir, un choix, un acte politique où se met en route l'agir de l'égale liberté, où s'apprennent, s'exercent la subjectivation relationnelle créatrice, l'autolimitation toujours fragile aux frontières de la politique. La résistance (post)coloniale, (post)communiste, (post-)totalitaire se réapproprie l'imaginaire, la puissance démocratique dans l'histoire d'aujourd'hui qui arrête (rupture) et réinvente (commencement, événement), se réapproprie le temps (durée, rythme), l'espace (non réductible au territoire étatique et intergouvernemental de police), le mouvement (la mobilité ne se limite pas « au droit de quitter son pays» de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme, la gouvernance autolimitée. En débusquant la censure, l'autocensure de la pensée, de la parole inscrite dans l'obéissance), le plaisir de vivre, la parole, les astuces de la pensée dans l'agir, l'autolimitation en face du spectre de la mort de masse et de la destruction de la planète.

PILAR CALVEIRO
Pouvoir et disparition

Les camps de concentration en Argentine
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Isabelle Taudière
Préface de Marina Franco, Postface de Miguel Benasayag


Marina Franco: "Il serait donc inexact de résumer la période à un affrontement entre deux forces ennemies, militaires et militants révolutionnaires, sans intégrer le reste d’une société qui, dans son ensemble, partageait les imaginaires violents, nationalistes et autoritaires des acteurs les plus radicalisés. Une société complexe, composée de secteurs fortement mobilisés socialement et politiquement, et d’autres, nombreux, qui, par le soutien actif ou le consentement silencieux, procurèrent à la nouvelle dictature un vaste consensus."

"C’est dans ce contexte, étroit et réticent, que le travail de Calveiro démonta le dispositif du « pouvoir totalisant » qui rendit possible les camps de concentration, tout en insistant sur le lien indissociable qui les unirent à la société au sein de laquelle ils furent implantés ; une société qui méritait d’être doublement considérée comme partie prenante de ce système puisqu’elle fut soumise au « pouvoir de disparition » dont elle a elle-même permis le fonctionnement. Les camps ne constituèrent ni une réalité étrangère et extérieure à la société, ni une invention machiavélique des forces armées au pouvoir ; c’est ainsi que l’entendit Pilar Calveiro. "


Calveiro Pilar: "L’analyse du camp de concentration en tant qu’instrument répressif peut nous fournir une clé pour comprendre les particularités d’un pouvoir qui a imprégné tout le tissu social et qui ne peut pas avoir disparu. Si le pouvoir s’est leurré en pensant pouvoir faire disparaître les éléments perturbateurs, il est tout aussi illusoire pour la société civile de vouloir croire que ce pouvoir de disparition puisse disparaître, par quelque coup de baguette magique. "

"Se pose alors toute une série de questions : comment a-t-il été possible qu’une armée nationale – certes réactionnaire et répressive, mais a priori pas plus que beaucoup d’autres institutions militaires – soit devenue une machine à tuer ? Comment se peut-il que des hommes qui ont embrassé la carrière militaire pour défendre leur patrie ou, en tout cas, accéder aux cercles privilégiés du pouvoir en tant que professionnel des armes, soient devenus de vulgaires délinquants, souvent de bas étage, des ravisseurs et des tortionnaires formés pour faire souffrir le plus possible ? Comment un pilote de l’armée formé pour défendre la souveraineté nationale, et convaincu que telle était sa mission, a-t-il pu en arriver à larguer des hommes en haute mer ?
 Je ne crois pas que, lorsqu’ils sont contrôlés par les lois d’un État qui neutralisent le loup qui sommeille en eux, les êtres humains soient des assassins en puissance. Je ne crois pas que la simple immunité dont ils bénéficiaient ait pu transformer du jour au lendemain des militaires en monstres, et je crois encore moins qu’ils soient tous des délinquants en puissance, du simple fait qu’ils ont intégré une institution armée. Je crois plutôt qu’ils ont été les rouages d’une machine qu’ils ont eux-mêmes construite et qui les a dépassés, les entraînant dans une dynamique de bureaucratisation, de systématisation et de banalisation de la mort, qui n’était pour eux qu’une ligne sur une liste de tâches confiées à leur service. La sentence de mort d’un homme se résumait à un simple code cryptique apposé sur le dossier d’un inconnu. "

"L’existence des camps de concentration et d’extermination doit se comprendre comme une initiative institutionnelle et non comme une aberration créée par une poignée d’esprits dérangés ou d’hommes monstrueux ; il ne s’agissait ni d’excès incontrôlés ni d’actes individuels, mais bien d’une politique répressive parfaitement structurée et normée, mise en place par l’État lui-même. "

"La méthodologie concentrationnaire était donc institutionnelle et était guidée par le principe d’efficacité pour gérer une situation que les forces armées qualifiaient de guerre, et dont elles voulaient triompher."

" Les camps ont été le dispositif de répression d’État, la machine à aspirer, liquider et assassiner qui, une fois lancée, s’est emballée et que plus personne ne pouvait contrôler. Elle tournait inexorablement. Une technologie directement liée à un pouvoir opérant sur un mode bureaucratique, où la fragmentation des tâches diluait les responsabilités. "

 Miguel Benasayag : " En un sens, volontairement provocateur, on peut aller jusqu’à dire de ce livre qu’il est un témoignage fantastique de ce que l’on est entrain de perdre : le fait qu’un tortionnaire pense qu’il doit se cacher."


MARTIN CAPARROS
La faim

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco

 " Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné », écrivait Jean Ziegler, ex-rapporteur spécial des Nations unies sur la question du droit à l’alimentation, dans son ouvrage Destruction massive.
Des milliers et des milliers d'échecs. Chaque jour, dans le monde – dans ce monde-ci –, meurent 25 000 personnes de causes liées à la faim. Si vous, lecteur, lectrice, prenez la peine de lire ce livre, si vous vous laissez happer et le lisez en, mettons, huit heures, 8 000 personnes seront mortes de faim : c’est beaucoup, 8 000 personnes."

"Comment, bordel, parvenons-nous à vivre en sachant que ces choses-là arrivent ?
Pardon de vous déranger, monsieur, de fureter, mais je voudrais savoir : qu’êtes-vous en train de manger ? Qu’avez-vous mangé ce matin ? Et hier soir, et ce soir ? Pensez-y, si vous voulez bien, inventoriez-le et ensuite vous me raconterez ce que vous en pensez. Je dis, je voudrais dire, mais je ne sais comment le dire : vous, aimable lecteur, si bien intentionné, un tantinet oublieux, êtes-vous capable de concevoir ce que signifie ne pas savoir si vous pourrez manger demain ? Pire : êtes-vous capable de concevoir une vie où jour après jour vous ne savez pas si vous pourrez manger demain ? Une vie qui repose essentiellement sur cette incertitude, sur l’angoisse de cette incertitude et les efforts pour imaginer comment y remédier, à ne pouvoir penser à rien d’autre ou presque car toute pensée est teintée de ce manque ? Une vie si restreinte, si riquiqui, si douloureuse parfois, si chèrement défendue.
Comment, bordel, parvenons-nous à vivre en sachant que ces choses-là ? "

"Il y a aujourd’hui, dans le monde, environ 250 000 bidonvilles ; selon l’ONU, ils sont habités par 1,2 milliard de personnes : un enfant sur cinq dans le monde est un bidonvillien, dans les villes de l’AutreMonde, trois habitants sur quatre vivent dans un bidonville."


Buenos Aires: "Le soleil cogne. Sur le chemin de terre, le terrain vague, odeur infecte, mille personnes attendent à l’entrée du pont. Elles sont aux aguets, s’amassent sur toute la largeur, dans l’attente du signal de départ. Le soleil insiste. Devant, un policier les regarde, les tue de son indifférence. Tout à coup il lève les bras, agite les bras : c’est le feu vert qu’ils attendaient.
Mille personnes avancent dans un murmure sans cris en direction de la Montagne. La première possibilité, c’est de jeter les restes à la poubelle ; la deuxième, de les jeter aux citoyens de troisième catégorie.
Quand le policier donne le signal, il faut courir : il faut arriver avant tout le monde, tirer parti des trois quarts d’heure d’ouverture de la Montagne. Il faut courir : une course à bâtons rompus d’un kilomètre en montée, bousculades, chutes, cris, quelques plaisanteries. Ils courent, ils courent, ils pédalent : sur le chemin de terre jonché de trous, entre de petits tas d’ordures et des fourrés et des flaques d’eau stagnante, ils courent ; ils courent tous, pour essayer d’être les premiers à plonger dans l’ordure, pour avoir les meilleurs restes. Ils courent : la « plupart sont des hommes mais il y a aussi des femmes, des enfants ; mille hommes et enfants et femmes en train de courir vaillamment pour atteindre les ordures en premier."

Madagascar:"  Mamy pense qu’à Madagascar, environ quatre millions d’hectares ont changé de mains au cours des dernières années, mais les données sont approximatives : elle est persuadée que beaucoup n’ont pas été comptabilisés, dit-elle, et il est vrai aussi que pour grand nombre de ces terres l’exploitation n’a pas encore commencé ou n’a pas pu aboutir. – Plus il y a de terres qui cessent d’être exploitées par les Malgaches pour leur subsistance, plus il y a de terres qui passent aux mains d’étrangers, plus il y a de terres réservées à la culture de la palme et du jatropha, pour la fabrication d’huile et de combustibles, ou même pour la production de denrées qui seront consommées dans d’autres pays, plus il y aura de terres qui ne serviront pas à nourrir les Malgaches, plus le nombre d’affamés augmentera dans un pays où ils sont déjà très nombreux. Dit Mamy, puis elle ôte ses grosses lunettes et essuie ses yeux de ses doigts.L’appropriation des terres africaines – asiatiques, latino-américaines, terres de l’AutreMonde – est la construction de la faim de demain. La construction soigneuse, claironnée, violente de la faim de demain."


BARBARA CASSIN
Avec le plus petit
Et le plus inapparent des corps

Il ne s'agit que du rapport entre langage et réalité, et des pouvoirs des mots. Une vie d'homme, à savoir une vie de cet «homme» qui est une femme, au sens où l'homme est un vivant, un animal mortel doué de logos. Comment une femme, avec souci de soi et souci du monde, est-elle douée de logoss? Comment use-t-elle du plus petit et du plus inapparent des corps ?
Plusieurs types de parole, plusieurs frappes sont possibles. Elles ne sont pas équivalentes; elles sont concurrentes - au sens de concourantes, aptes toutes ensemble à dessiner un certain paysage, le même dès qu'on le regarde d'assez loin et qu'on en accepte la perspective.

ROBERT CASTEL
La Gestion des risques

À partir de la situation des années soixante-dix il serait ainsi dégagé deux lignes de développement des stratégies de gestion de l'individu très différentes, en apparence opposées, mais qui pourraient s'avérer complémentaires. La constitution de populations à risques déconstruit complètement l'individu dans le cadre d'une planification administrative programmée à distance. Au contraire, les stratégies d'intensification des potentialités de l'individu s'attachent à travailler sur l'individu lui-même et à maximiser ses capacités. On ne saurait donc les assimiler, ni même semble-t-il, les comparer. Cependant ces approches se caractérisent par le même pragmatisme, le même souci d'efficience, et la même volonté d'instrumentalisation, tantôt pour conjuguer les menaces que portent certains individus ou groupes d'individus, tantôt pour maximiser leur rentabilité. Elles pourraient ainsi constituer deux pôles complémentaires d'une même politique, l'un imposant un contrôle centralisé et bureaucratique des populations susceptibles de poser problème, l'autre intervenant au plus près des individus pour les adapter à un système d exigences qui, lui aussi, plane bien au-dessus de la tête des individus concrets.

 

CORNELIUS CASTORIADIS

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YVES CITTON

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PIERRE CHARBONNIER
Abondance et liberté

" Les luttes pour l’égalité et la liberté, contre la domination et l’exploitation, n’ont pas fini d’alimenter l’histoire humaine, mais elles se trouvent ainsi de plus en plus souvent enchâssées dans un conflit ayant pour objet le sol susceptible de soutenir ces divergences fondamentales. Ou plutôt, elles révèlent sous un angle tragique que condition politique et condition écologique sont intimement liées et soumises à des transformations conjointes. "

"L’ensemble des cycles biogéochimiques qui structurent l’économie planétaire sont poussés au-delà de leurs capacités de régénération par le rythme des activités productives ; la nature des sols, des airs, des eaux est en train de changer et, ce faisant, d’inscrire les collectifs humains et leurs luttes dans de nouvelles coordonnées. "

"Certains des cycles biogéochimiques et des dynamiques évolutives qui font de la Terre un milieu habitable sont aujourd’hui poussés au-delà de leur seuil de tolérance, le climat n’étant que l’une de ces transformations, sans doute la plus spectaculaire. Ainsi sont compromis d’un même coup l’accès au territoire, l’avenir commun, les conditions les plus basiques de la justice, c’est-à-dire ce qui constitue – que l’on se réclame de l’écologie ou non – le socle d’une existence politique. "

 


"De la manière dont elle a organisé sa base technologique, la société industrielle contemporaine tend au totalitarisme. Le totalitarisme n’est pas seulement une uniformisation politique terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d’un faux intérêt général. […] Le totalitarisme n’est pas seulement le fait d’une forme spécifique de gouvernement ou de parti, il découle plutôt d’un système spécifique de production et de distribution, parfaitement compatible avec un « pluralisme » de partis, de journaux, avec la « séparation des pouvoirs." Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée.

"Derrière l’accumulation des risques environnementaux et des travaux qui les analysent, il faut donc voir un processus de transformation socio-économique bien plus large que la simple (et fragile) émergence d’une conscience écologique. Le rapport au temps, le partage entre science et politique, les formes de l’autorité scientifique, les dispositifs de protection, sont mis en crise ensemble et, même si les facteurs de cette crise peuvent être considérés comme hétérogènes, l’émergence du concept de risque comme opérateur central susceptible d’organiser la connaissance de ces transformations doit être prise au sérieux."

"Pour penser le freinage économique, la solution la plus simple consiste donc à admettre que nous n’avons jamais rien produit. Nous avons seulement prétendu occuper une position d’exception dans un réseau d’interdépendances écologiques que nous ne régissons que de façon imparfaite."

"Ce qui frappe, c’est l’écart qui se creuse entre d’une part la vocation des ressources produites à voyager et à terminer leur course dans des lieux où leur consommation participe de la construction d’un monde social où règne l’abondance ; et d’autre part le fait que les communautés locales affectées par le choc extractif sont de leur côté vouées à demeurer marginales dans le grand théâtre mondial de la consommation."

" Admettre que l’on ne produit pas nos moyens de subsistance, et moins encore les conditions générales de la coexistence terrestre, mais que l’on participe d’une régulation géo-écologique faite de cycles à entretenir et à préserver, est le premier geste pour élaborer une économie politique qui réponde enfin aux bonnes affordances de la terre. "

"Ce qui fait écran à l’émergence d’une pensée politique ajustée à la crise climatique n’est donc pas seulement le capitalisme et ses excès. C’est aussi en partie l’acception même de l’émancipation dont nous sommes les héritiers, qui s’est construite dans la matrice industrielle et productionniste et qui s’est traduite par la mise en place de mécanismes protecteurs encore tributaires du règne de la croissance.
L’obstacle est en nous, parmi nous : dans nos lois, nos institutions, plus que dans un spectre économique surplombant que l’on pourrait confortablement dénoncer de l’extérieur. L’État social, en dépit de ses immenses bénéfices, a par exemple contribué à consolider les objectifs de performance économique qui conditionnent son financement, et qui en retour provoquent une mise en concurrence des risques sociaux et des risques écologiques. La crise des Gilets jaunes, en France, en est l’illustration parfaite : taxer les carburants pour dissuader leur utilisation entre en conflit avec le sens de la liberté de millions de personnes prises dans les infrastructures de mobilité héritées des Trente Glorieuses. Il faut donc mettre au point des dispositifs permettant d’abaisser notre dépendance à l’égard de ces énergies sans violer les aspirations collectives qui y sont enchâssées. Cette double contrainte ne peut être résolue ni en dénonçant l’« idéologie de la bagnole » ni en compensant ses externalités, mais en réinventant les institutions protectrices, les infrastructures urbaines, leurs mécanismes de financement, ainsi que les attachements sociaux qui y trouvent leur place. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’écologie et la politique sont aujourd’hui quasiment impossibles à distinguer l’une de l’autre, après avoir été si longtemps diamétralement opposées.
La plupart des demandes de justice les plus pressantes qui se font entendre aujourd’hui, que ce soit à des échelles locales ou globales, reconduisent à des enjeux liés à l’énergie, à l’usage des sols, aux dynamiques du vivant, aux flux de matière qui structurent la distribution de la richesse. Et à condition d’entretenir une connaissance critique de ces réseaux de dépendance sur la trame desquels nos existences s’animent et se confrontent, à condition de suivre cette piste et de la construire comme site privilégié de la pensée politique, il est possible de faire émerger ce sujet collectif critique d’un nouveau genre, à la hauteur des enjeux du présent. "

GILLES CLÉMENT

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ERIC CLEMENS
La fiction de l'apparaître

Antonin Artaud force le corps de la vie au dehors de la langue.
La fiction fait naître - laisse être l'à-naître (la nature) par cris des langues qui défont les masses et les formes, le sans-temps et le temps mort, et par langues des cris qui font et refont les langages, les corps, les phénomènes. Elle n'est pas auto-engendrée au sens d'une création sans fond, mais polyphonique, protéiforme, disséminée, toujours entre­temps, entre avant-temps et fins du temps, décisions de différance. La fiction est surgissement des cris, des signifiances toujours premières, inachèvements et recommencements, langues et langages, histoires. Son déploiement se déchiffrera dans l'expérience littéraire.

EMANUELE COCCIA
La vie des plantes
Une métaphysique du mélange

"Plus qu'une partie du monde, l'atmosphère est un lieu métaphysique dans lequel tout dépend de tout le reste, la quintessence du monde compris comme espace où la vie de chacun est mêlée à la vie des autres. L'espace dans lequel nous vivons n'est pas un simple contenant auquel nous devrions nous adapter. Sa forme et son existence sont inséparables des formes de vie qu'il héberge et qu'il rend possibles. "


EMANUELE COCCIA
La vie sensible

"Le sensible, comme l’avait déjà écrit Aristote, appartient à l’individu singulier, et il est toujours « quelque chose d’extérieur », non seulement aux choses, mais avant tout à l’âme des vivants capables de le percevoir. Le dehors ne coïncide plus alors avec le monde, avec l’objectivité, avec les corps : la pointe extrême de l’extériorité est peuplée seulement d’images."

"Nous vivons sous l’influence pérenne du sensible : odeurs, couleurs, sensations olfactives, musiques. Notre existence – dans le sommeil ou en état de veille – est un bain infini au cœur du sensible. Les sensibles – dont les images ne cessent de nous nourrir et d’alimenter notre expérience diurne ou onirique – définissent la réalité et le sens de chacun de nos mouvements. Ce sont eux qui donnent une réalité à nos pensées, ce sont eux qui donnent corps à nos désirs. "

 

ANDRE COMTE-SPONVILLE

ANDRE COMTE-SPONVILLE
Du tragique au matérialisme

"Il s'agit, aujourd'hui, de pouvoir regarder toutes choses sans illusion aucune, et nottamment le néant où tout finit, et de tirer néanmoins, de cette théôria [contemplation] du néant, un certain bonheur - entendant par "bonheur" ce qui fait que l'on se sent un inépuisable courage". Marcel Conche

"Ne pas se raconter d'histoires, disait Louis Althusser, cette formule reste pour moi la seule définition du matérialisme." Je suis comme Clément Rosset: je trouve cette définition "excellente ", et d'autant plus peut-être qu'elle n'en est pas une (elle dit moins ce qu'est le matérialisme que le refus qui y mène). Considérer la nature "sans adjonction étrangère", comme le voulait le vieil Engels, c'est aussi refuser de lui ajouter quelque interprétation ou consolation que ce soit. Matérialisme tragique : aporétique, déceptif, inconsolé. Cela devrait pousser à se méfier des « grands récits », de toutes ces « histoires » qu'on se " raconte " en effet, de toutes ces herméneutiques qu'on ajoute au réel pour lui trouver, prétendument, un sens ! C'est l'usage matérialiste du rasoir d'Occam: ne pas ajouter d'entités idéelles ou idéales, ou du moins - puisqu'on ne peut tout à fait s'en passer - ne pas leur accorder d'autre réalité que celle des mots ou des désirs qui les visent. Cela n'interdit pas d'avoir des idées (puisque cela même en est une), ni de poursuivre, individuellement comme collectivement, tel ou tel but, ni donc d'avoir des idéaux, mais devrait dissuader d'y croire absolument, donc d'y voir autre chose - pour parler comme Spinoza - que des " êtres de raison " ou des " auxiliaires de l'imagination".


ANDRE COMTE-SPONVILLE
L'Esprit de l'athéisme
Introduction à une spiritualité sans dieu

Philosopher, c'est apprendre à se déprendre: on ne naît pas libre; on le devient, et l'on n'en a jamais fini. Mais, dans cette expérience que je dis, la liberté semble soudain réalisée, comme éternellement disponible. C'est peut-être que nul n'est prisonnier que de soi, de ses habitudes, de ses frustrations, de ses rôles, de ses refus, de son mental, de son idéologie, de son passé, de ses peurs, de ses espérances, de ses jugements ... Lorsque tout cela disparaît, il n'y a plus de prison, ni de prisonnier: il n'y a plus que la vérité, qui est sans sujet et sans maître.


ANDRE COMTE-SPONVILLE
MARIE DE HENNEZEL
AXEL KAHN

Doit-on légaliser l'euthanasie?

"L'euthanasie est alors une exception, en effet, qui confirme la règle : respecter la vie humaine, c'est aussi lui permettre de rester humaine jusqu'à son terme.
Ne laissons pas la déchéance ou l'agonie nous faire détester la vie; donnons-nous plutôt les moyens de l'aimer jusqu'au bout."


ANDRE COMTE-SPONVILLE
Pensées sur l'athéisme

"La position de l'athée est d'autant plus forte qu'il préfèrerait le plus souvent avoir tort. Cela ne prouve pas qu'il ait raison, mais le rend moins suspect de ne penser, comme tant d'autres, que pour se consoler ou se rassurer..."

 

"La foi sauve, donc elle ment."Friedrich Nietzsche


MARCEL CONCHE

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BORIS CYRULNIK

BORIS CYRULNIK
Les vilains petits canards

"Je suis née à l'âge de 25 ans, avec ma première chanson
-Avant?
-Je me débattais."


BORIS CYRULNIK
De chair et d'âme

En ce début de XXIè siècle, nos récits moralisateurs valorisent plutôt la parité. On met de gros rubans sur les trois cheveux des bébés filles, on habille les nourrissons garçons avec des treillis de combat, et puis soudain, à l'adolescence, on leur dit qu'il n'y a pas de différence entre les sexes et qu'il est immoral de croire en la disparité.

Quand on vous demandera: «Combien y a-t-il de sexes? », vous ne pourrez plus répondre « deux ». Si mon raisonnement vous a convaincu, vous direz qu'il y a des gradients sexuels qui se sont construits sur des fondements biologiques mais ont été tutorisés vers des formes différentes, imaginaires et culturelles.


BORIS CYRULNIK
Les nourritures affectives

En débarquant sur Terre, toute espèce vivante possède une espérance de vie de sept millions d'années. Nous venons donc de naître puisqu'il n'y a que trois millions d'années que nous nous arrachons à l'animalité, que nous marchons sur nos pattes postérieures, que nos mains libérées fabriquent des outils; il n'y a que trente mille ans que nous sommes devenus "savants", que nous nommons nos pères, que nos récits racontent les mythes qui nous façonnent et que nos techniques utilisent les lois de la nature pour échapper à la nature. Nous avons encore droit à quatre millions d'années!
C'est pourquoi il faut redonner la parole aux lions, car l'homme qui vient de naître n'est pas encore hominisé. Peut-être en aura-t-il le temps?


BORIS CYRULNIK
EDGAR MORIN

Dialogue sur la nature humaine

- Edgar Morin: "Je suis persuadé que l'on doit vivre avec l'incertitude. La vie est une navigation sur un océan d'incertitude, à travers des archipels de certitude. Nous sommes dans une aventure collective inconnue, mais chacun vit son aventure. Chacun est certain de sa mort, mais nul n'en connaît la date ou les circonstances. Bien entendu, on risque alors d'être submergé par l'angoisse. A mon sens, la riposte à l'angoisse est la communion, la communauté, l'amour, la participation, la poésie, le jeu...toutes ces valeurs qui font le tissu même de la vie. La question est celle-ci : pensez-vous que nous sommes à une époque historique où l'humanité peut enfin assumer son destin - c'est-à-dire son destin de vivre une aventure inconnue -, ou bien avons-nous toujours besoin de mythes consolateurs et d'illusions formidables pour tenir?"

 

 

OUVRAGES COLLECTIFS

 


Les Soulèvements de la terre
Premières secousses

"Contrairement aux défilés revendicatifs sans réponse qui font augmenter la résignation, nous voulons repartir d'une manifestation avec le sentiment que quelque chose a changé : une terre a été protégée, une infrastructure toxique obstruée."

"Toute mobilisation des Soulèvements de la terre inclut au moins une de ces trois formes d'interventions :

• le blocage, c'est-à-dire la suspension plus ou moins longue d'une infrastructure responsable du ravage écologique et des flux dont elle dépend. Empêcher l'accès à un site industriel, stopper un chantier, rendre muette une bretelle autoroutière.

• le désarmement, c'est-à-dire la mise en pièces d'infrastructures ou chantiers qui accélèrent la catastrophe en cours.

• l'occupation de terres, c'est-à-dire le fait d'investir des zones humides, prairies, forêts ou terres agricoles menacées. Elles peuvent prendre la forme de mises en culture, d'installations de lieux de vie, de jeux, de production, d'organisation, d'habitations ou de fermes paysannes."

«Est-ce là vraiment l'esprit du siècle?[...] Chaque acte de destruction, de sabotage rejaillit en moi comme un signe de solidarité de classe. » Antonio Negri, Domination et sabotage

 


"Les Soulèvements relèvent de la coalition, du mouvement, tout autant que de l'organisation partisane, sans jamais y correspondre tout à fait. Ils piochent dans leurs forces respectives pour tenter de dépasser les limites de chacune de ces formes ; la multiplicité de la coalition et le risque d'une simple juxtaposition ; la fluidité du mouvement et son adéquation aux situations mais aussi son caractère éphémère et lâche ; la fiabilité, la durée et les moyens d'une organisation et l'écueil de ses scléroses.
Nous sommes une coalition parce que nous réunissons un ensemble d'organisations et de collectifs préexistants qui maintiennent leur autonomie et leur existence propre.
Nous sommes un mouvement parce qu'orientés vers l'action et ouverts à des formes de ralliements massifs et d'agrégations informelles.
Nous sommes une organisation parce que décidé es à nous doter de structures propres, durables et d'espaces de décisions réactifs.
L'assemblée inaugurale s'est fixé une ambition démesurée - fonder un mouvement qui change réellement la donne sur les enjeux d'accaparement et d'artificialisation des terres -tout en se donnant pour principe d'en éprouver pas à pas la possibilité. Nous avons choisi une forme ouverte et volontairement inachevée, qui laisse la possibilité de muter à mesure que de nouveaux horizons se dessinaient."


Arjun Appadurai / Zygmunt Bauman / Nancy Fraser / Eva Illouz / Ivan Krastev / Bruno Latour / Paul Mason / Pankaj Mishra / Robert Misik / Oliver Nachtwey / Donatella della Porta / César Rendueles / Wolfgang Streeck / David Van Reybrouck / Slavoj Žižek
L'Âge de la Régression

Heinrich Geiselberger: "Incapables de se confronter, avec les outils de l’État-nation, aux causes globales de ces grands défis que sont la migration, le terrorisme ou les inégalités grandissantes, incapables de s’y confronter au moyen de stratégies à long terme, les hommes politiques misent toujours plus, à l’échelle nationale, sur l’attelage « Law and Order », ainsi que sur la promesse de rendre toujours plus « grandes » leurs nations respectives. À l’évidence, on ne peut plus offrir grand-chose, en un temps d’austérité, aux citoyennes et citoyens – qu’ils soient salariés, étudiants ou usagers de l’infrastructure publique. Le centre de gravité de l’agir politique se déplace donc en direction de ces autres dimensions que sont l’appartenance nationale, les promesses de sécurité et de restauration de la grandeur d’antan.
On pourrait poursuivre presque à l’envi la liste des symptômes actuels de régression : désir nostalgique d’une dé-globalisation anarchique et unilatérale ; consolidation des mouvements identitaires, par exemple en France, en Italie et en Autriche ; propagation du racisme et de l’islamophobie ; forte augmentation des « crimes de haine » ; et, bien évidemment, montée en puissance de démagogues autoritaires du type Rodrigo Duterte, Recep Tayyip Erdoğan ou encore Narendra Modi… Tout cela s’accompagna, dès la fin de l’automne 2015, d’une hystérisation et d’une brutalisation extrêmes des débats publics, les grands médias audiovisuels ayant souvent fait preuve à cet égard d’un certain esprit moutonnier. "


"Les événements qui se sont produits depuis la fin de l’automne 2015 – l’évolution du conflit syrien, le vote en faveur du Brexit, l’attentat de Nice, les succès électoraux de l’AfD [Alternative für Deutschland] en Allemagne, la tentative de putsch en Turquie et la répression politique qui s’ensuivit, l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, etc. – forment un bien funeste panorama et sont venus confirmer le sentiment que nous nourrissions dès cette époque, celui d’une régression généralisée allant en s’aggravant."

David Van Reybrouck: " Pour le dire autrement, la perte de souveraineté économique engendre partout une posture consistant à brandir l’idée de souveraineté culturelle. La culture devient ainsi le siège même de la souveraineté nationale, une telle évolution adoptant des formes très diverses. Prenons la Russie de Vladimir Poutine. "

Zygmunt Bauman : " Au lieu de tenter de déraciner les peurs existentielles provoquées par une telle situation, et de tenter de le faire sérieusement, de façon cohérente, coordonnée, sur le long terme, les gouvernements du monde entier ont sauté sur l’occasion de combler le déficit de légitimité qui les affligeait tous, lequel résultait des reculs de l’État-providence, des reculs de la « sécurisation » des problèmes sociaux par l’État, et donc du recul d’une authentique pensée et action politiques, ainsi que de l’abandon des efforts menés après-guerre pour instituer une « famille des nations ». Les craintes des populations, encouragées, alimentées et avivées par une alliance tacite, mais étroite, entre élites politiques, médias de masse et industries du divertissement, et avivées plus encore par la marée montante des démagogues, sont envisagées comme une matière première ô combien précieuse, qui se trouve habilement exploitée au service de divers objectifs – un véritable capital politique à faire fructifier, convoité qui plus est par les pouvoirs économiques désormais débridés, ainsi que par leurs lobbies politiques et autres exécutants fort zélés."

 Nancy Fraser: "sans une gauche authentique, le chaos du « développement » capitaliste ne peut que générer des forces libérales et des contre-forces autoritaires, réunies dans une symbiose perverse. Loin d’être l’antidote au fascisme, le (néo)libéralisme est ainsi son complice et partenaire criminel. Le véritable antidote au fascisme (qu’il soit un proto-fascisme, un quasi-fascisme ou un fascisme réel) ne peut consister qu’en un projet de gauche réorientantant opportunément la colère et les souffrances des dépossédés au profit d’une profonde restructuration sociétale et d’une « révolution » politique démocratique. Jusque très récemment, un tel projet ne pouvait pas même être envisagé tant les lieux communs néolibéraux se montraient hégémoniques, jusqu’à l’asphyxie. Mais grâce à Sanders, Corbyn, Syriza et Podemos – si imparfaits soient-ils tous –, l’idée même de possibilité, de perspective, fait son retour. La leçon à tirer de tout cela est en conséquence assez claire : la gauche devrait refuser de choisir entre un néolibéralisme progressiste et un populisme réactionnaire. "

Pankaj Mishra : "...dans une société mercantile, les gens ne vivent ni pour eux-mêmes ni pour leur pays, mais pour la satisfaction de leur vanité ou de leur amour-propre, c’est-à-dire le désir et la nécessité de s’assurer la reconnaissance d’autrui, d’être estimé par eux tout autant que l’on s’estime soi-même. Mais cette vanité, dont le compte Twitter de Donald Trump est la manifestation la plus éclatante, est condamnée à être perpétuellement insatisfaite"

"Il n’est donc pas étonnant que de plus en plus de gens partent à la recherche de boucs émissaires et s’attaquent violemment, notamment sur Twitter, aux femmes, aux minorités ou parfois, tout simplement, à une personne. Ces racistes et misogynes ont à l’évidence longtemps souffert de ce qu’Albert Camus, reprenant la définition du ressentiment donnée par Max Scheler, appela en son temps « une auto-intoxication, la sécrétion néfaste, en vase clos, d’une impuissance prolongée ». C’est cette boue toxique – sorte de maladie gangréneuse des organismes sociaux – qui, après avoir été longtemps et ouvertement malaxée par des médias du type Daily Mail et Fox News, a littéralement jailli, telle de la lave lors d’une éruption volcanique, avec la victoire de Trump.
Que riches et pauvres confondus votent pour un menteur pathologique et un fraudeur fiscal invétéré confirme une fois encore que les désirs humains opèrent de façon parfaitement indépendante de la logique de l’intérêt bien compris, et peuvent même la détruire. Nous nous retrouvons donc dans une situation funeste, qui évoque bien des choses à ceux qui connaissent l’Histoire, et notamment celle de la fin du XIXe siècle – où des masses mécontentes se laissèrent séduire par des alternatives radicales à une politique et une économie rationnelles qui avaient fini par se retourner contre elles. "

 


"TOI AUSSI, TU AS DES ARMES"
poésie & politique

J.-C. Bailly, J.-M. Gleize, C. Hanna, H. Jallon, M. Joseph, J.-H. Michot, Y. Pagès, V. Pittolo, N. Quintane

J.-C. Bailly :"Le poème doit toujours se tenir sur le seuil, dans l'ouverture de l'accès où l'absolument distinct résonne."

"Mon livre est un livre engagé dans la mesure où il m'engage à vivre ce que j'ai écrit" (Pierre Guyotat)

J.-M. Gleize : "Je sais maintenant qu'il faut claquer la porte. Se tenir debout dehors et oublier les images. La question révolutionnaire est désormais une question musicale. Se tenir debout dehors, écouter le vent."

"Il va de soi que la prolifération des structures éditoriales autonomes, la multiplication des modes d'intervention publique, la culture de réseaux (en place du fonctionnement groupal), l'appropriation de tous les outils de la communication contemporaine, leur usage direct ou décalé, détourné, etc., tout cela participe d'une réponse politique à la pression du contexte. Nous construisons nos propres cabanes. Et les chemins qui les relient."


"Une certaine négation de la politique par la poésie est politique. Surtout si l'on veut bien admettre par ailleurs cette pratique de l'écriture de poésie comme négation endurante de «la» poésie : aucun message achevé, refus de la revendication, maintien à hauteur d'énigme, réalisme radical.

Encore et toujours pour tout ce qui parle «à voix intensément basse ».


 


 Bettina Laville, Stéphanie Thiébault, Agathe Euzen
L'Adaptation au changement climatique

"Pourquoi le changement global est-il ici favorisé pour étudier l’adaptation ? Sans doute parce que les variations du climat ne sont pas les seules modifications auxquelles l’humanité doit faire face. Il y aussi des transformations physico-chimiques (comme l’acidification des océans, les pollutions…) ou biotiques (pathogènes, parasites, prédateurs, compétiteurs), ou des modifications à la base de la chaîne trophique (ainsi moins de plancton source d’acides gras polyinsaturés pour les niveaux trophique supérieur), ou sociales. Il est donc plus que nécessaire d’étudier les réponses adaptatives à ces nouveaux changements environnementaux. C’est précisément le fil de cet ouvrage qui fait le point sur les définitions parfois diverses de l’adaptation, sur ses dynamiques, sur les possibilités des divers écosystèmes à s’adapter aux nouvelles conditions climatiques, sur les outils à la disposition des sociétés et enfin, sur l’adaptation comme enjeu de territoire. "

" Le GIEC définit l’adaptation comme « démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, ainsi qu’à ses conséquences, de manière à en réduire ou à en éviter les effets préjudiciables et à en exploiter les effets bénéfiques ». Il souligne que l’adaptation est très complémentaire de l’atténuation et qu’il faut envisager les deux types de mesures afin d’assurer la cohérence des politiques climatiques avec le développement durable. L’adaptation est susceptible de gérer les risques actuels et de permettre de réduire les incidences du changement climatique au cours des quelques décennies à venir. À l’inverse les mesures d’atténuation ont relativement peu d’influence à cette échelle de temps mais elles en ont une sur le rythme et l’ampleur du changement climatique au delà du milieu du XXIe siècle avec une probabilité de dépasser les limites de l’adaptation à mesure que ce rythme et cette ampleur augmentent. "

 


BERNARD STIEGLER, PAUL JORION, EVGENY MOROZOV, JULIEN ASSANGE, DOMINIQUE CARDON
François Bon, Thomas Berns, Bruno Teboul....
La toile que nous voulons

"On voudrait suggérer que s'il faut porter un regard critique sur les nouvelles réalités numériques, il est peu judicieux de le faire dans le vocabulaire de la contrainte, de l'aliénation ou de la domination. [....] Le vocabulaire de la censure, de la déformation, de la tromperie, de la manipulation, de l'injonction ou de la programmation des subjectivités, etc., porte sur une réalité nouvelle un diagnostic critique qui a été inventé à propos d'une réalité ancienne. Il rate sa cible en proposant un diagnostic si contre-intuitif qu'il est à la fois assez improbable et très inefficace." Dominique Cardon

"Si, face aux discours surplombants, généralisants et peu documentés, du grand panoptique contraignant, nous essayons de tirer toutes les conséquences du constat que le nouveau régime numérique opère sous la forme environnement/utilité plutôt que sous une forme contrôle/surveillance, il me semble que, animé par une même ambition critique, il est possible de faire un diagnostic et des propositions non pas plus réalistes, mais plus efficaces, pour rencontrer les pratiques effectives des internautes." Dominique Cardon

 


Les Temps Modernes
Nuit debout et notre monde

"La force du mouvement serait alors d'interroger la démocratie en tant que « signification imaginaire centrale », qui structure l'imaginaire social-historique à travers un ensemble d'autres significations, pour reprendre le vocabulaire de Cornelius Castoriadis. II a beaucoup été objecté que Nuit debout et les « mouvements des places » (La lutte des places) étaient sans prise sur le réel, sans traduction institutionnelle ou politique. Pourtant, si l'on tente de jeter un regard de biais sur ces événements, il devient possible de sonder leur efficacité symbolique comme une dimension qui s'articule au réel et lui donne sens." Arthur Guichoux

« On peut toujours reprocher aux gens de place de la République d'être des lycéens, des jeunes précaires ou des individus qui ne représentent qu'eux-mêmes. Mais c'est l'état général de ce qu'on appelle ici politique qu'il faut prendre en compte. Dans une France rendue amorphe par l'offensive dite néo-libérale, la supercherie socialiste et une intense campagne intellectuelle contre toute la tradition sociale militante, on ne peut se contenter de renvoyer Nuit debout au fait que ce mouvement ne représente pas grand-chose sociologiquement. » Jacques Rancière

"Un "homme debout" ne tient pas debout tout seul". Robert Castel

"Nuit debout c'est juste la forme d'un manque." Pierre

 

 


JEAN ALLOUCH -ALAI N BADIOU - PI ERRE CHARTIER
DU XIAOZHEN-FRAN ÇOISE GAILLARD-PATRICK HOCHART- PHILIPPE JOUSSET-PHILIPPE D'IRIBARNE
WOLFGANG KUBIN-BRUNO LATOUR-LIN CHI-MING
RAMONA NADDAFF-PAUL RICŒUR-JEAN-MARIE SCHAEFFER - LÉON VANDERMEERSCH

OSER CONSTRUIRE
Pour François Jullien

Le type chinois de connaissance ne porte pas sur un objet (à identifier) mais sur un cours (à suivre). Il ne détermine pas des niveaux d'être, comme la pensée grecque, mais interdit au contraire toute coupure dualiste au sein du réel - à laquelle notre métaphysique doit son avènement même. D'autre part, la source de la connaissance ne se trouve pas dans un sujet détenteur de facultés, mais dans l'aptitude à continuer d'un procès (dont l'idéal, par conséquent, est de ne jamais se laisser bloquer). Jullien qualifie cette logique de processive. On en devine les conséquences, théoriques et pratiques, en cascade: ce sont toutes les paires oppositives, solidaires de la première paire, qui jouent, ou travaillent, différemment: la présence et l'absence, la vie et la mort, le visible et l'invisible ... «Je est passager-inventif (processif), il se garde de l'obtention-fixation. Il est par où de la vie (du désir, de l'intelligence, de l'inquiétude ... ) continue de se promouvoir et de passer, de se recueillir sans s'enliser ». Philippe Jousset

 


VILLES ECRITES
Pierre Lassave, Jean-François Roullin...

Jean-François ROULLIN, Ville et architecture écrite : de L'auteur au lecteur.

"Aujourdhui, la constitution de la ville ou de l'architecture écrites en tant qu'objet permet de parler de champ identifié, où oeuvrent différentes disciplines. Les différents chercheurs, tout en légitimant ce champ, construisent et étudient cet objet du point de vue de leur discipline propre, par des approches sociologiques, géographiques, architecturales, littéraires, monodisciplinaires ou plus larges. Mais de ces approches, le lecteur est absent. C'est oublier qu'une œuvre est d'abord faite pour être lue par des non-spécialistes, que le premier destinataire nest pas le chercheur. L'article se propose d'introduire le lecteur dans le champ, comme sujet au travers de ses perceptions, et comme acteur parce qu'il est un des moteurs de l'histoire de la littérature. C'est alors non plus seulement se demander ce que la société dit à travers des textes, mais aussi ce qu'elle se dit à elle-même, dans le domaine de la ville et de l'architecture."


 


SPIELRAUM: W. Benjamin et l'architecture
sous la direction de Libero Andreotti

Préface Jean-Paul Dollé.

"La ville correspond à ce que Benjamin appelle un Spielraum, un espace de jeu mais aussi une marge de manoeuvre. Celle de moments criciaux du passé exploités avec le procédé de l'actualisation pour leur donner une vie nouvelle, hors de l'état de rêve, restitués dans un présent tendu entre souvenir, espoir et présage." L.A.

Jean-Paul Dollé :"D'où la nécessité de réintroduire une discontinuité, une rupture, un choc - pas l'excitation énervée de la foule., mais la véritable expérience poétique fondatrice qui s'émancipe de tous les faux-semblants de la marchandise, d'autant plus présents que les progrès de la technologie produisent en série des fétiches qui hallucinent et satisfont pour un temps les demandes d'individus isolés et déstructurés des foules modernes. L'advenue de l'humain est toujours une sortie hors de l'histoire catastrophique. C'est pourquoi Walter Benjamin associe dans la même admiration les deux insoumis, le poète Baudelaire et le révolutionnaire intraitable Auguste Blanqui, et fait sienne la «fusée» baudelairienne : «L'action est sœur du rêve.
Walter Benjamin, comme le note Hannah Arendt, son amie en butte aux «mêmes sombres temps», est un passeur de temps, car il a «le don de penser poétiquement»."

"La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, l'à-côté de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'incommunicable". Baudelaire

 


VILLES REBELLES
De New York à Sao Paulo
comment la rue affronte le nouvel ordre capitaliste mondial

Paulo Arantes, Roberto Schwarz, Raquel Rolnik, Erminia Maricato, David Harvey, Carlos Vainer, Mauro Iasi, Mike Davis, Silvia Viana, Joâo Alexandre Peschanski, Felipe Brito, Pedro Rocha de Oliveira, Lincoln Secco, Ruy Braga, Jorge Souto Maior, Venicio A. de Lima, Leonardo Sakamoto, Slavoj Zizek


Venicio A.de Lina: "Indépendamment des raisons, nombreuses et légitimes, qui justifient l'expression démocratique d'une insatisfaction généralisée d'une partie significative de la population brésilienne, on ne peut ignorer la construction d'une culture politique qui disqualifie systématiquement les institutions politiques et les politiciens eux-mêmes. Plus important : on ne peut ignorer les risques potentiels pour le régime démocratique quand c'est cette culture politique qui prévaut.

J'ai eu recours à de nombreuses reprises, au fil des ans, à une observation perspicace du professeur Maria do Carmo Campello de Souza (aujourd'hui décédée) à l'époque de la transition démocratique, encore en cours à la fin des années 1980.

Dans le chapitre « La Nouvelle République brésilienne : sous l'épée de Damoclès », publié dans un volume organisé par Alfred Stepan, elle discute, parmi d'autres, de la question de la crédibilité de la démocratie. Dans les moments de rupture démocratique, afnrme-t-elle, les crises économiques représentent une cause moins lourde que la présence ou l'absence du system blame (littéralement « accusation du système »), c'est-à-dire de l'évaluation négative du système démocratique rendu responsable de la situation.

En citant spécialement les exemples de l'Allemagne et de l'Autriche dans les années 1930, Campello de Souza rappelle que « le processus d'évaluation négative du système démocratique était tellement disséminé que, lorsque certains secteurs voulurent défendre le régime démocratique, ils étaient déjà trop minoritaires pour pouvoir empêcher la rupture ».

L'analyse de la situation brésilienne d'il y a plus de deux décennies semble plus actuelle que jamais. La contribution insidieuse des vieux médias au développement du system blame y était désignée comme l'un des obstacles à la consolidation démocratique. Une longue citation s'impose :

"L'intervention de la presse, de la radio et de la télévision dans le processus politique brésilien demande une étude linguistique systématique du « discours adversaire » à propos de la démocratie, qui s'exprime à travers les moyens de communication. Il nous semble possible de dire [...] que les moyens de communication ont participé d'une manière très nette à l'extension du processus du system blame [...]. Il faut signaler le rôle exercé par les moyens de communication dans la formation de l'image publique du régime, surtout pour ce qui concerne l'accentuation d'un aspect toujours présent dans la culture politique du pays - la défiance enracinée à l'égard de la politique et des politiciens - et qui peut renforcer le manque de crédibilité de la structure de représentation partisane-parlementaire elle-même. [...] Le contenu exclusivement dénonciateur d'une grande partie des informations finit par établir au sein de la société [...] un lien direct et extrêmement néfaste entre la démoralisation de la conjoncture actuelle et la substance même des régimes démocratiques. [...] " "

Leonardo Sakamoto: "Beaucoup de ces jeunes sont mécontents, mais ne savent pas ce qu'ils veulent. Ils savent seulement ce qu'ils ne veulent pas. Dans le moment présent, si agressifs qu'ils soient, une bonne part d'entre eux est en pleine extase, hallucinés par le divertissement que représente le fait d'être dans la rue et par le pouvoir qu'ils croient avoir entre les mains. Mais, dans le même temps, ils ont peur. Car, sommés de rendre compte de leur insatisfaction, au fond, ils ne parviennent à percevoir qu'un grand vide."


 


A. Badiou, P. Bourdieu, J.Butler, G. Didi-Huberman, S. Khiari, J. Rancière
Qu'est-ce qu'un peuple?

Alain Badiou : Vingt-quatre notes sur les usages du mot "peuple"

19. La classe moyenne est le "peuple" des oiligarchies capitalistes.

21. Nous avons donc deux sens négatifs du mot « peuple ». Le premier, le plus évident, est celui que plombe une identité fermée - et toujours fictive - de type racial ou national. L'existence historique de ce genre de «peuple» exige la construction d'un Etat despotique, qui fait exister violemment la fiction qui le fonde. Le second, plus discret, mais à grande échelle plus nuisible encore - par sa souplesse et le consensus qu'il entretient -, est celui qui subordonne la reconnaissance d'un « peuple » à un Etat qu'on suppose légitime et bienfaisant, du seul fait qu'il organise la croissance, quand il le peut, et en tout cas la persistance d'une classe moyenne, libre de consommer les vains produits dont le Capital la gave, et libre aussi de dire ce qu'elle veut, pourvu que ce dire n'ait aucun effet sur le mécanisme général.

 

 


22. Et enfin nous avons deux sens positifs du mot « peuple ». Le premier est la constitution d'un peuple dans la visée de son existence historique, en tant que cette visée est niée par la domination coloniale et impériale, ou par celle d'un envahisseur. «Peuple» existe alors selon le futur antérieur d'un État inexistant. Le second est l'existence d'un peuple qui se déclare comme tel, à partir de son noyau dur, qui est ce que l'État officiel exclut précisément de «son» peuple prétendument légitime. Un tel peuple affirme politiquement son existence dans la visée stratégique d'une abolition de l'État existant.

23. «Peuple» est donc une catégorie politique, soit en amont de l'existence d'un État désiré dont une puissance interdit l'existence, soit en aval d'un État installé dont un nouveau peuple, à la fois intérieur et extérieur au peuple officiel, exige le dépérissement.

Jacques Rancière: L'introuvable populisme

Car «le peuple» n'existe pas. Ce qui existe ce sont des figures diverses, voire antagoniques du peuple, des figures construites en privilégiant certains modes de rassemblement, certains traits distinctifs, certaines capacités ou incapacités : peuple ethnique défini par la communauté de la terre ou du sang; peuple-troupeau veillé par les bons pasteurs ; peuple démocratique mettant en œuvre la compétence de ceux qui n'ont aucune compétence particulière ; peuple ignorant que les oligarques tiennent à distance, etc. La notion de populisme construit, elle, un peuple caractérisé par l'alliage redoutable d'une capacité - la puissance brute du grand nombre - et d'une incapacité - l'ignorance attribuée à ce même grand nombre. Le troisième trait, le racisme, est essentiel pour cette construction. Il s'agit de montrer à des démocrates, toujours suspects d'« angélisme », ce qu'est en vérité le peuple profond : une meute habitée par une pulsion primaire de rejet qui vise en même temps les gouvernants qu'elle déclare traîtres, faute de comprendre la complexité des mécanismes politiques, et les étrangers qu'elle redoute par attachement atavique à un cadre de vie menacé par l'évolution démographique, économique et sociale. La notion de populisme effectue à moindres frais cette synthèse entre un peuple hostile aux gouvernants et un peuple ennemi des « autres » en général.

 


Donner lieu au monde :
LA POETIQUE DE L'HABITER
Actes du colloque de Cerisy-la-Salle

Suite à l'Habiter dans sa poétique première, ce livre recueille les actes du colloque tenu en septembre 2009 à Cerisy la Salle. Il s'agit à présent de la création; c'est-à-dire de la poïétique d'un monde autre que l'insoutenable monde actuel. Insoutenable, notre monde l'est puisque non viable écologiquement, injustifiable moralement (car de plus en plus inégalitaire), et inacceptable esthétiquement (car il «tue le paysage»). Dans la réarticulation cosmologique du Vrai (ici l'adéquation de notre mode de vie aux capacités de la Terre), du Bien et du Beau, les auteurs ont donc été invités à imaginer un nouveau poème du monde, au-delà de la modernité qui l'a fait taire en disjoignant les champs respectifs de la technoscience, de l'éthique et de l'esthétique.


"Je crois en effet qu'il faut toujours tenter la communication, c'est-à-dire traduire. Ne pas le faire - émailler ainsi un texte français de termes espagnols, indiens, japonais ou sénégalais sous prétexte de « coller au réel » - dénote chez l'auteur bien autre chose qu'un scrupule scientifique. J'y dénote pour ma part : 1/ une regrettable paresse intellectuelle, 2/ la prétention abusive d'être l'unique détenteur d'une vérité si profonde qu'elle en serait incommunicable dans son propre langage, 3/ outre que cette solution de facilité fait encore de sa prose un patchwork d'une lecture peu confortable. Surtout, 4/ elle n'évite le danger d une relative imprécision que pour tomber dans celui, plus grave, d'emprisonner un concept, une image ou un fait dans le terme qui les désigna d'abord et, au lieu d'abattre le mur du langage, condition première de tout échange intellectuel, de le préserver au contraire, et d'en rendre le signifié rebelle à toute comparaison avec une autre civilisation."Jacques Pezeu-Massabuau

"Ainsi donc le vrai problème pour l'humanité aujourd'hui n'est pas de se retirer dans des niches écologiques et culturelles autarciques, entre lesquelles n'existerait aucune résonance, ni de s'assembler dans une masse plastique, grégaire, uniforme, pour faire un seul corps, car il n'y aurait plus place pour l'Autre et encore moins pour le tiers reliant qu'est la Nature. L'avenir n'est ni à l'éclatement centrifuge en mondes fermés, ni au syncrétisme informe qui veut homogénéiser les différences. C'est en développant, au contraire, une forte « médiance » entre l'homme et son milieu, qu'on peut favoriser des formes d'« empaysement », qui n'est pas enfermement chtonien dans des racines, ni égarement dans une utopie, dans ce qui est « sans lieu », mais qui est création d'une prise, qui donne une assise à la vie." Jean-Jacques Wunenburger

"La rupture des liens entre un monde en projets et le monde en réalité ne vient pas uniquement de la dissemblance entre la parole politique et les faits concrets que l'on nous annonce et qui ne se réalisent pas, mais de la vrai-semblance (Cassin, 2004: 337) des discours, de leur dimension morale, de la vertu des hommes politiques, de leur implication citoyenne." Martine Bouchier

"Voilà précisément le nœud théorique que j'essaye de penser aujourd'hui, où de toute évidence certains modèles d'identité et de similitude sont devenus caducs. Le réel est autrement plus complexe que le champ esthétique qui pourtant aujourd'hui travaille à comprendre les liens des arts avec des disciplines en rupture épistémologique comme la politique, les médias, l'humanitaire, la démographie, la génétique, l'écologie. Ce que nous disent les arts, c'est que l'enjeu n'est plus de se focaliser sur les mécaniques qui rendent possible les liens hiérarchiques, élargis ou « relationnels », mais d'engager une réflexion sur ce que les domaines créent de commun, sur la nature de ce monde hétéroclite non délimité et sans lieu, cette « zone d'expérience », dont l'existence est attestée par les actions, les événements, les représentations et les identités qui la constituent." Martine Bouchier

Lignes N°4. Les extrême-droites en France et en Europe (Octobre 1988)


"Glaciation
A mesure que les territoires existentiels individuels et collectifs s'effritent, balayés qu'ils sont par les nouveaux moyens de produire de la subjectivité, surgissent un peu partout des crispations de reterritorialisation. Le racisme, la xénophobie, le délire nationaliste des gens de Le Pen ne sont que la cristallisation visible de ce phénomène, le haut d'un iceberg qui gèle l'ensemble de nos sociétés.
Cette glaciation du socius est-elle irréversible ? Probablement pas. Mais seule la réinvention de pratiques sociales et esthétiques pourra y porter remède. Il s'agit de produire de la singularité subjective avec les nouvelles machines de sémiotisation et non en réaction contre elles. Reconstruire le rapport aux autres, le rapport à l'environnement, le rapport aux corps, aux sexes, au temps. Larguer les amarres du scientisme pour s'engager sans réserve sous l'égide des paradigmes éthico-esthétiques." Félix Guattari (1988)

Cité par Charles Alunni :

"N'incitez pas les mots à faire une politique de masse.
Le fond de cet océan dérisoire est paré des cristaux de notre sang."
René Char


lignes 41
ce qu'il reste de la politique

"Il va sans dire que je ne suis ni étonné ni déçu par ce qui peut sembler relever de l'inconséquence dans les propos actuels du pouvoir, car il ne peut pas en être autrement.
Ce constat me pousse à espérer que de nouvelles approches du politique puissent se faire jour par la force d'autres paroles originelles : celle des révoltes énergiques (et logiques) des travailleurs en lutte, celle de la diction attentive et amoureuse d'un instituteur penché sur un enfant qui apprend sa propre langue, celle du poète enfin : « Le monde n'est pas fini [...]/ qui va mourir/ sait que la beauté est inexorable[...] »" Hervé Carn


"Le socialisme fut, il y a un an, un moyen de prendre le pouvoir et non de changer la société. Cela posé, il faut bien se demander si le pouvoir et la politique ont un autre rapport que la manipulation de la seconde par le premier à son seul bénéfice. Conséquence : la politique ainsi dénaturée n'est plus au bout d'un an d'exercice du pouvoir socialiste qu'un déchet sans aucune commune mesure avec la réflexion sur la condition sociale dont elle se réclame. De plus, ce misérable reste empoisonne et salit tout l'espace de la citoyenneté." Bernard Noël



LIGNES 34

"Les civilisations ne sont pas essentiellement des constructions ordonnées. Ce sont des événements, des inventions, des accidents, des errances. C'est ce qu'on ne pouvait planifier, un métal, un animal, une plante, le passage d'un air jamais respiré, d'une mélodie inouïe. Cela s'est passé bien des fois dans l'histoire et cela reviendra, cela revient déjà comme passent ici ou là, dehors, dedans, entre nous, des Roms qui ne sont ni des gens, ni des hommes, ni des personnes, ni des citoyens, mais des farfadets, des jongleurs, des semi-conducteurs, des borborygmes, des escarbilles, des astéroïdes et parfois, pourquoi pas, même nous, nous tous les Gadjos."
Jean-Luc Nancy

"Le racisme d'aujourd'hui est donc d'abord une logique étatique et non une passion populaire. Et cette logique d'Etat est soutenue au premier chef non par on ne sait quels groupes sociaux arriérés mais par une bonne partie de l'élite intellectuelle." Jacques Rancière


Lignes 25
Mars 2008

Décomposition
Recomposition
Politiques

JL Amselle, A Badiou, MB Kacem, D Bensaïd, G Bensussan, A Brossat, J Dakhlia, JP Dollé, Y Dupeux P Hauser, A Jappe O Le Cour Grandmaison, E Renault

"C'est de lucidité qu'il faut faire règle de conduite. C'est par une réflexion sur les lieux de la politique, et sur ce qui, en ces lieux, se traduit et ne se traduit pas des hors-lieux (faut-il dire des ban-lieues?) des expériences et des affects collectifs, des douleurs et des blessures sociales, que pareille lucidité, politique, a chance d'advenir. Peut-être." G. Bensussan

QUEL AUTRE? L'altérité en question
sous la direction de Pierre Ouellet et Simon Harel

Avec la participation de Jean-Christophe Bailly, Paul Audi, Georges Leroux, Gérard Bucher, Éric Méchoulan, Guillaume Asselin, Franck Villain, Jean-Pierre Vidal, Thierry Tremblay, Anthony Wall, Jean-:Philippe Uzel, Alexandre Prstojevic, Marie-Dominique Popelard, Alexis Nouss, Sherry Simon, Simon Harel et Pierre Ouellet.

"C'est, pour le dire autrement, que la singularité (de chaque être) serait considérée comme une séquence provisoire formée au sein d'une infinité de tournures possibles. Par conséquent, quelque chose comme un phrasé, une articulation, un montage."
JC Bailly . La scène pronominale

Recherches et pensées contemporaines : Atlan, Castoriadis, Domenach, Dupuy, Feyerabend...
Création et désordre

Je ne pense pas que les hommes se mobiliseront jamais pour transformer la société, surtout dans les conditions du capitalisme moderne, et pour établir une société autonome, uniquement dans le but d'avoir une société autonome. Ils voudront vraiment et effectivement l'autonomie lorsqu'elle leur paraîtra comme le porteur, la condition, l'accompagnement presque, mais indispensable, de quelque chose de substantif qu'ils veulent vraiment réaliser, qui aura pour eux de la valeur et qu'ils n'arrivent pas à faire dans le monde actuel. Mais cela veut dire qu'il faudra que de nouvelles valeurs émergent dans la vie social-historique. Castoriadis